Comment équilibrer protection sociale et compétitivité économique sur le marché du travail ? La loi travail d’El Khomri transforme depuis 2016 les relations professionnelles en France, donnant la primauté aux accords d’entreprise dans le droit du travail. Cette réforme structure aujourd’hui notre environnement professionnel avec des mesures concrètes sur les heures supplémentaires, la négociation collective et le droit à la déconnexion. Quels sont ses impacts réels ? Comment s’applique-t-elle concrètement ? Découvrez les enjeux actuels de cette loi travail qui continue de façonner le monde du travail en 2025.

Résumé :
- La loi El Khomri de 2016 révolutionne le droit du travail français en donnant la primauté aux accords d’entreprise sur les conventions de branche, permettant des dispositions moins favorables que précédemment pour s’adapter aux spécificités économiques locales ;
- Elle assouplit l’organisation du temps de travail avec des possibilités étendues : 46h/semaine sur 12 semaines, 12h/jour maximum et réduit les majorations d’heures supplémentaires à un plancher de 10% au lieu de 25% ;
- La réforme facilite les licenciements économiques en précisant les critères selon la taille d’entreprise et introduit des innovations sociales : compte personnel d’activité, droit à la déconnexion et protection renforcée des travailleurs saisonniers ;
- Malgré une contestation massive (mouvement « Nuit debout », 1 million de signatures), cette loi structure encore aujourd’hui le marché du travail français, prolongée par les ordonnances Macron 2017 et adaptée aux évolutions post-Covid comme le télétravail généralisé.
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Les objectifs de la loi El Khomri
Le contexte économique français de 2016
En 2016, la France traverse une période économique difficile avec un taux de chômage maintenu autour de 10% et une compétitivité en berne face à ses voisins européens. Le gouvernement Hollande identifie la rigidité du marché du travail comme un frein majeur à l’embauche et à la croissance économique.
Une loi controversée dès son origine
La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (disponible ici) relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels tire son nom populaire de “loi El Khomri” de la ministre du Travail Myriam El Khomri qui l’a portée. Cette appellation reflète l’ampleur des débats qu’elle a suscités dans l’opinion publique et le monde syndical.
Triple objectif gouvernemental
La ministre El Khomri défend une approche équilibrée visant à “protéger les salariés, favoriser l’embauche et donner plus de marge de manœuvre à la négociation en entreprise”. Cette philosophie s’articule autour de trois axes :
- sécuriser les parcours professionnels grâce au compte personnel d’activité ;
- moderniser le dialogue social en privilégiant les accords d’entreprise ;
- faciliter les embauches en assouplissant certaines contraintes.
Concrètement, cette loi vise à encourager la création d’entreprise en simplifiant les procédures de licenciement économique et en donnant plus de flexibilité aux employeurs dans l’organisation du travail.
Bon à savoir : Cette réforme s’inspire directement des modèles européens, notamment l’Allemagne avec ses lois Hartz et l’Espagne qui avait réformé son marché du travail en 2012, menant à une baisse significative du chômage.
Les mesures phares de la loi El Khomri

La primauté de la négociation d’entreprise
L’inversion historique de la hiérarchie des normes
La loi travail opère une révolution dans l’organisation du droit du travail français en bouleversant la hiérarchie traditionnelle des normes. Jusqu’en 2016, les conventions collectives de branche primaient systématiquement sur les accords d’entreprise, sauf dispositions plus favorables aux salariés.
Désormais, les accords d’entreprise peuvent déroger aux conventions de branche sur des domaines cruciaux : durée du travail, répartition et aménagement des horaires, congés et jours de repos. Cette inversion permet aux entreprises d’adapter leurs règles internes aux spécificités de leur secteur et de leur organisation.
Une flexibilité accrue pour les employeurs
Cette primauté de l’accord d’entreprise transforme fondamentalement la gestion des ressources humaines. Les dirigeants peuvent négocier directement avec leurs représentants du personnel des conditions de travail sur mesure, sans être contraints par des accords de branche parfois inadaptés à leur réalité économique. Attention : cette primauté ne s’applique pas aux salaires minima, classifications professionnelles et protection sociale complémentaire, où les conventions de branche conservent leur prééminence.
La rémunération des heures supplémentaires
Le maintien des 35 heures avec une flexibilité nouvelle
La loi travail conserve les 35 heures comme durée légale de travail hebdomadaire, contrairement aux craintes exprimées lors des débats parlementaires. Cette référence légale reste inchangée et continue de servir de base au calcul des heures supplémentaires pour tous les salariés français.
Toutefois, la réforme introduit une souplesse majeure dans la rémunération de ces heures supplémentaires. Avant 2016, les taux de majoration étaient fixés par la loi à 25% pour les huit premières heures supplémentaires et 50% au-delà, sans possibilité de dérogation.
Un plancher abaissé pour favoriser la négociation
Désormais, un accord d’entreprise peut fixer des taux de majoration inférieurs, avec un plancher minimal de 10% au lieu des 25% précédents. Cette mesure vise à encourager le recours aux heures supplémentaires en réduisant leur coût pour l’employeur.
Concrètement, cette évolution impacte directement le calcul de la rémunération des salariés, notamment ceux percevant le SMIC net 2025 qui voient leurs heures supplémentaires potentiellement moins valorisées selon l’accord négocié dans leur entreprise.
Bon à savoir : En l’absence d’accord d’entreprise, les taux légaux de 25% et 50% continuent de s’appliquer automatiquement, préservant ainsi le niveau de rémunération traditionnel.
Modulation du temps de travail
Une flexibilité horaire étendue
La loi travail élargit considérablement les possibilités de modulation du temps de travail en autorisant les entreprises à dépasser temporairement la durée légale hebdomadaire sur des périodes étendues. Cette mesure répond aux besoins de flexibilité des entreprises confrontées à des variations saisonnières ou conjoncturelles d’activité.
Avant la loi El Khomri, seul un accord de branche pouvait porter la durée hebdomadaire à 46 heures sur 12 semaines. Désormais, un accord collectif d’entreprise peut également prévoir une extension de 44 heures sur 12 semaines, donnant plus d’autonomie aux entreprises dans l’organisation de leur temps de travail.
Extensions quotidiennes et modulation pluriannuelle
La durée quotidienne de travail peut être portée à 12 heures maximum avec un accord d’entreprise, contre 10 heures dans le droit commun. Non-négligeable : la modulation peut s’étendre jusqu’à 3 ans si un accord de branche le prévoit et qu’un accord collectif majoritaire est signé dans l’entreprise. Ces aménagements s’articulent avec les dispositions sur les majorations d’heures de nuit, permettant aux entreprises d’organiser des cycles de travail étendus.
Bon à savoir : Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent mettre en place une modulation unilatérale sur 9 semaines, contre 4 semaines précédemment.
Les critères du licenciement économique
Une clarification des motifs économiques
La loi travail précise et assouplit les critères définissant le licenciement économique à travers l’article L1233-3 du Code du travail. Cette réforme introduit une grille de lecture objective des difficultés économiques, basée sur des indicateurs quantifiables : baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation.
Des seuils adaptés à la taille des entreprises
| Taille de l’entreprise | Durée minimale de la baisse d’activité |
| Moins de 11 salariés | 1 trimestre |
| 11 à 50 salariés | 2 trimestres consécutifs |
| 50 à 300 salariés | 3 trimestres consécutifs |
| Plus de 300 salariés | 4 trimestres consécutifs |
Cette approche différenciée reconnaît les spécificités économiques de chaque catégorie d’entreprise. Les TPE, plus vulnérables aux fluctuations, peuvent justifier un licenciement économique plus rapidement que les grandes structures disposant de davantage de réserves financières.
Nouveaux motifs de licenciement économique
Au-delà des difficultés économiques traditionnelles, la loi introduit deux nouveaux motifs : la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité et la cessation d’activité de l’entreprise. Ces critères s’apprécient au niveau de l’entreprise française, même si elle appartient à un groupe multinational prospère.
Attention : la loi précise explicitement que les difficultés économiques créées artificiellement pour procéder à des suppressions d’emploi sont exclues et ne constituent pas un motif valable de licenciement.
Bon à savoir : Le barème prud’homal d’indemnisation des licenciements abusifs, initialement prévu dans la loi El Khomri, avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Il fut finalement adopté en 2017 par les ordonnances Macron, créant un plafond d’indemnités selon l’ancienneté du salarié.
Le compte personnel d’activité (CPA)
Une fusion de trois dispositifs existants
La loi travail crée le compte personnel d’activité (CPA) en fusionnant trois mécanismes préexistants : le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C2P) et le compte d’engagement citoyen (CEC). Cette consolidation vise à simplifier l’accès aux droits sociaux pour tous les travailleurs.
Le CPA constitue un véritable “passeport social” qui suit le salarié tout au long de sa carrière professionnelle, quel que soit son statut ou ses changements d’employeur. Cette portabilité des droits représente une innovation majeure dans la sécurisation des parcours professionnels.
Portabilité et sécurisation des droits
Concrètement, ce compte personnel accumule des droits utilisables pour la formation professionnelle, la prévention de la pénibilité au travail ou la reconnaissance de l’engagement bénévole. Cette approche globale permet aux salariés de mobiliser leurs droits de manière coordonnée. Cette sécurisation s’avère particulièrement utile lors des transitions professionnelles, notamment pour les parents souhaitant bénéficier d’un congé parental tout en préservant leurs droits à la formation pour faciliter leur retour à l’emploi.
La protection des travailleurs saisonniers
Des droits renforcés par la loi travail
La loi travail introduit des mesures spécifiques pour sécuriser les parcours professionnels des travailleurs saisonniers. Cette protection s’avère cruciale dans un contexte où ces emplois sont par nature précaires et souvent dépourvus de prime de précarité. Concrètement, la loi impose aux branches professionnelles concernées (hôtellerie-restauration, remontées mécaniques, tourisme, commerce saisonnier) d’engager des négociations sur la reconduction des contrats saisonniers et la prise en compte de l’ancienneté des salariés.
Reconduction des contrats et reconnaissance de l’ancienneté
Une ordonnance du 27 avril 2017 précise ces dispositions : un travailleur saisonnier ayant effectué deux saisons sur deux années consécutives dans la même entreprise peut désormais demander la reconduction de son contrat si l’employeur dispose d’un poste compatible avec sa qualification. Par ailleurs, la durée des contrats saisonniers successifs s’ajoute à l’ancienneté du salarié, contrairement au délai de carence qui interrompait traditionnellement cette continuité dans la protection sociale. Résultat : ces mesures visent à fidéliser les travailleurs saisonniers tout en améliorant leur sécurité professionnelle et sociale.
Le droit à la déconnexion
Une innovation juridique mondiale
La loi travail inscrit pour la première fois dans le droit français le concept de “droit à la déconnexion”, faisant de la France le premier pays au monde à légiférer sur cette question cruciale de l’équilibre vie professionnelle-vie privée à l’ère numérique. Cette mesure répond à l’évolution des modes de travail où les outils numériques (emails, téléphones professionnels, messageries instantanées) créent une porosité permanente entre temps de travail et temps de repos, générant stress et épuisement professionnel.
Obligations concrètes pour les entreprises
L’article L2242-17 du Code du travail impose aux entreprises de plus de 50 salariés d’engager une négociation annuelle sur les modalités du plein exercice du droit à la déconnexion. Cette négociation doit aboutir à l’élaboration d’une charte définissant les bonnes pratiques. À défaut d’accord, l’employeur doit établir unilatéralement une charte précisant les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et les actions de formation et de sensibilisation aux outils numériques. Ces dispositifs visent à préserver les temps de repos et de congé ainsi que la vie personnelle et familiale des salariés face à l’hyperconnexion professionnelle.
La durée des congés en cas de décès d’un proche
Une harmonisation des droits au deuil
La loi travail unifie et améliore les congés pour événements familiaux en fixant des durées minimales nationales pour accompagner les salariés dans les moments difficiles de leur vie personnelle. Désormais, tous les salariés bénéficient d‘au moins 2 jours ouvrables en cas de décès du conjoint, d’un parent, d’un beau-parent, d’un frère ou d’une sœur. Cette uniformisation met fin aux disparités existantes entre les conventions collectives et garantit un socle minimal de protection.
Protection renforcée en cas de décès d’un enfant
La loi introduit une disposition particulièrement protectrice : en cas de décès d’un enfant, le congé est porté à 5 jours ouvrables, reconnaissant ainsi la gravité exceptionnelle de cette épreuve. Cette mesure s’inscrit dans une démarche humaniste du droit du travail, reconnaissant que certains événements nécessitent un accompagnement social renforcé. Ces congés sont rémunérés et ne peuvent être imputés sur les congés payés annuels, préservant ainsi le droit au repos des salariés endeuillés.
Impact et évolutions depuis la loi travail
Application et controverses
Un mouvement social d’ampleur inédite
L’adoption de la loi travail déclenche un mouvement de contestation sociale sans précédent sous la Vᵉ République. Dès mars 2016, les manifestations se succèdent dans toute la France, rassemblant syndicats, étudiants et citoyens opposés à cette réforme du droit du travail. Le mouvement “Nuit debout” naît place de la République à Paris le 31 mars 2016, créant un espace d’échanges et de débats citoyens qui s’étend rapidement à plus de 200 villes françaises. Cette forme de protestation inédite mélange contestation politique et expérimentation démocratique.
Une mobilisation numérique et citoyenne
Parallèlement aux manifestations de rue, la contestation s’organise sur internet avec des pétitions en ligne qui recueillent un écho considérable. Les réseaux sociaux amplifient la mobilisation et permettent une coordination nationale des opposants.
Les grèves dans les secteurs stratégiques (transports, raffineries, fonction publique) paralysent périodiquement le pays pendant plusieurs mois. Cette contestation multiforme traduit une défiance profonde envers les réformes structurelles du marché du travail. Malgré cette opposition massive, le gouvernement maintient sa réforme en utilisant les outils constitutionnels à sa disposition, créant un précédent dans l’usage répété de l’article 49.3 pour une même loi.
Bon à savoir : La pétition contre la loi travail sur Change.org a recueilli plus d’un million de signatures, un record pour une mobilisation citoyenne en ligne en France.
Changements législatifs et réglementaires post-loi travail
Les ordonnances Macron : prolongement logique
En septembre 2017, le gouvernement d’Emmanuel Macron adopte cinq ordonnances qui approfondissent et complètent la réforme initiée par la loi El Khomri. Ces textes fusionnent les instances représentatives du personnel, créent le barème prud’homal et assouplissent davantage les règles de licenciement économique. Ces ordonnances introduisent notamment la rupture conventionnelle collective et renforcent la primauté des accords d’entreprise, poursuivant la logique de décentralisation du dialogue social amorcée en 2016.
Création du Comité Social et Économique (CSE)
À partir du 1er janvier 2018, le CSE remplace toutes les instances représentatives : délégués du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Cette fusion simplifie le dialogue social tout en maintenant les prérogatives essentielles de représentation des salariés. Cette réforme structurelle modifie profondément l‘organisation des relations sociales dans les entreprises de plus de 11 salariés, créant une instance unique aux compétences élargies.
Évolutions post-pandémie
La crise sanitaire de 2020 accélère certaines évolutions prévues par la loi travail, notamment le développement massif du télétravail et le renforcement du droit à la déconnexion. Les accords d’entreprise sur l’organisation du travail se multiplient pour s’adapter aux nouvelles contraintes.
Bon à savoir : Les réformes du droit du travail se poursuivent jusqu’à aujourd’hui avec la loi pour renforcer la prévention en santé au travail (2021) et les mesures sur l’index égalité professionnelle, illustrant une continuité réformatrice depuis 2016.
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